Bonus : cette décision française qui inquiète les banques américaines

Actualité WAAGE PRO, Publiée le 28 juin 2019

Les echos

Bernard Mourad contraint Morgan Stanley à lui verser plus de 1,4 million de bonus à l'issue d'un procès aux Prud'hommes. Une décision, dont la banque américaine peut faire appel, mais qui bouscule déjà les règles de bonus dans la finance.

Coup de tonnerre chez les banquiers d'investissement européens. Selon une décision de justice rendue lundi, le banquier star Bernard Mourad pourra récupérer plus de 1,4 million d'euros de bonus après avoir intenté un procès contre son ex-employeur. Et pas des moindres : le géant américain Morgan Stanley. L'affaire, qui illustre les contradictions entre les droits américain et français, pourrait créer un précédent dans le secteur financier. Elle commence il y a cinq ans. Le banquier du magnat des télécoms Patrick Drahi est devenu l'une des plus grosses sources de commissions de Morgan Stanley à Paris. La banque américaine en est reconnaissante. Elle lui attribue 250.000 euros de bonus en cash et 1,17 million d'euros en actions au titre des années 2012 à 2014, par versements séquencés entre un et trois ans. Mais le 2 février 2015, le financier annonce son départ. Il ne part pas pour la concurrence, mais chez Altice, un des principaux clients de la banque en France.

 

Programme de « loyauté »

Morgan Stanley décide alors de ne pas payer ces bonus. La règle est usuelle au sein des firmes anglo-saxonnes. Leurs programmes de « loyauté » conditionnent en effet le versement des bonus différés à la présence du salarié dans la banque. D'ailleurs, en général, les salariés le savent. Ceux qui veulent quitter leur maison se font « racheter » leur bonus par leur nouvel employeur.

Mais cette pratique est de plus en plus controversée en Europe. En janvier, elle a fait couler beaucoup d'encre pour un autre banquier vedette, Andrea Orcel. Le patron de la banque d'investissement d'UBS réclamait 50 millions d'euros à Santander qu'il devait rejoindre comme directeur général pour compenser la perte de son bonus. Une prétention qui lui a coûté le poste.

De son côté, Bernard Mourad, qui a depuis rejoint Bank of America-Merrill Lynch, n'a pas hésité à attaquer sa banque aux prud'hommes pour récupérer ce bonus. Personne ne s'attendait à ce qu'il ait gain de cause. Sauf que lundi, un juge lui a donné raison. Et pas n'importe lequel : il s'agit d'un juge « départiteur », un magistrat professionnel du tribunal de grande instance qui intervient quand les conseillers prud'hommes, salariés et employeurs, ne réussissent pas à se départager.

La décision suivie comme le lait sur le feu rebat les cartes pour le reste de la place. « De nombreuses banques anglo-saxonnes s'interrogent sur les risques systémiques de cette décision », témoignent Lionel Vuidard et Géric Clomes, avocats chez Linklaters. La plupart d'entre elles ont mis en place des plans de rémunération différée centralisés à l'échelle mondiale. Avec le risque qu'ils soient appliqués demain différemment en France et dans le reste du monde et n'offrent pas la même égalité de traitement. « Il existe des risques que d'autres banquiers réclament les bonus différés qu'ils n'ont pas perçus à l'occasion de leur départ », soulignent-ils.

L'enjeu est gros. Ces sommes représentent plus de la moitié des bonus des banquiers, et se comptent en plusieurs centaines de milliers d'euros par salarié. Rien qu'en France, plus de 230 banquiers, d'établissements français et étrangers confondus, ont touché plus d'un million d'euros de variable en 2017.

Au coeur de ce contentieux se joue la prééminence du droit français sur le droit américain. « Ces clauses peuvent être licites en droit américain, dit Eric Manca, du cabinet August-Debouzy et avocat de Bernard Mourad. Mais mon client était porteur d'un contrat en droit français. Le droit américain ne lui a jamais été applicable. Or en droit français, assujettir le paiement d'une rémunération acquise sur période échue à une condition de présence ultérieure est illicite ». L'affaire n'est pas close. Morgan Stanley, qui s'est refusé à tout commentaire, peut faire appel. Beaucoup estiment qu'elle le fera. En attendant, les banques étudient leurs options pour éviter un mur de contentieux.

 

Source : Les Echos