Patrimoine du chef d'entreprise : le match salaire-dividendes

Actualité WAAGE PRO, Publiée le 09 décembre 2019

Le match salaire-dividendes

Le prélèvement forfaitaire unique de 12,8 % sur les dividendes et la baisse programmée de l'IS devraient favoriser une rétribution sous forme de dividendes au détriment de la rémunération du travail.

Pour le chef d'entreprise à la tête d'une entreprise individuelle ou d'une société de personnes soumise à l'impôt sur le revenu, sa rémunération correspond obligatoirement au bénéfice ou à une quote-part du bénéfice réalisé par son entreprise. En revanche, les dirigeants propriétaires d'une entreprise exploitée sous forme de société, soumise à l'impôt sur les sociétés, peuvent se verser une rémunération indépendante des bénéfices sociaux réalisés par leur entreprise. Se pose alors la question du meilleur mode de rémunération et/ou de l'éventuel cumul entre les différentes formes de rémunération.

Pour Pierre-Yves Lagarde, associé chez Imani - Dirigeants & family office, « la bonne stratégie de rémunération est celle qui combine les trois composantes de la rémunération d'un chef d'entreprise, que sont sa rémunération immédiate, sa rémunération différée, à savoir ses droits à retraite, et sa rémunération patrimoniale. Le tout est de savoir où placer les curseurs pour optimiser le mix entre ces trois composantes ».

Pour financer son train de vie, le chef d'entreprise a le choix entre se verser une rémunération - salaire proprement dit ou revenus relevant de l'article 62 du Code général des impôts - et des dividendes. Plus l'écart entre la taxation des revenus du travail et des revenus du capital est élevé, plus le chef d'entreprise aura intérêt à se rémunérer sous la forme du revenu le moins taxé. Pour effectuer cette comparaison, il faut tenir compte non seulement de la fiscalité personnelle du chef d'entreprise - impôt sur le revenu et prélèvements sociaux -, mais aussi du poids des charges sociales et de l'impôt sur les sociétés.

 

Pour les gérants de SARL

Or certains de ces paramètres dépendent du statut du dirigeant, qui dépend lui-même de la structure juridique adoptée. Aujourd'hui, si l'on se place dans l'hypothèse d'un dirigeant propriétaire majoritaire de son entreprise, le choix s'articule le plus souvent autour des deux statuts suivants : celui de dirigeant de SAS ou de SA et celui de gérant majoritaire de SARL ou de Selarl pour les professions libérales.

En tant que dirigeants non salariés, les gérants majoritaires de SARL sont rattachés à la Sécurité sociale des indépendants (SSI, ex-RSI) ou à une caisse professionnelle libérale pour les gérants majoritaires de Selarl : experts-comptables, avocats, médecins… Ils cotisent sur leur rémunération mais aussi sur la part des dividendes qui excède 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant d'associé. En contrepartie, leurs cotisations leur permettent d'acquérir des droits pour leur retraite.

 

Pour les présidents de SAS et SA

Assimilés à des salariés, les présidents de SAS et SA relèvent quant à eux du régime général de la Sécurité sociale et de l'Agirc-Arrco pour leur retraite complémentaire. Ils cotisent sur leur salaire, mais pas sur les dividendes qu'ils se versent. Côté fiscalité personnelle, les rémunérations allouées aux gérants de SARL comme celles versées aux présidents de SA ou de SAS sont imposables dans la catégorie des salaires, au barème progressif de l'impôt sur le revenu après la déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels, plafonnée à 12.627 euros, tandis que les dividendes qu'ils perçoivent sont soumis de plein droit au PFU de 12,8 %, auxquels s'ajoutent pour les présidents de SA ou de SAS 17,2 % de prélèvements sociaux, non déductibles. En revanche, les dividendes versés aux gérants majoritaires de SARL ne supportent pas les prélèvements sociaux puisqu'ils sont soumis aux cotisations sociales.

Avec la barémisation des dividendes en 2013, le taux marginal de taxation des dividendes était devenu plus important que celui des salaires. La création du PFU en 2018 a rebattu les cartes. Selon un rapport de l'Institut des politiques publiques (« Evaluation d'impact de la fiscalité des dividendes », octobre 2019), l'écart de taxation marginal entre salaires et dividendes tourne désormais en faveur de ces derniers : il est passé de -1,1 à +6,4 points de pourcentage et devrait être amené à se creuser jusqu'en 2022 avec la baisse progressive du taux de l'IS (voir graphique).

Une fois passée l'année blanche, cette nouvelle donne devrait donc inciter les dirigeants imposables dans les tranches les plus élevées à se rémunérer en dividendes plutôt qu'en salaires. Y compris pour les gérants majoritaires de SARL dont les dividendes sont soumis à cotisations sociales. Dans la mesure où ces cotisations sociales ont été acquittées à titre personnel, elles deviennent déductibles en partie de leur revenu imposable. « On se retrouve donc avec une taxation forfaitaire du dividende d'un côté et une défiscalisation au barème des cotisations sociales et de la CSG. De ce fait, pour les revenus élevés, malgré l'assujettissement aux cotisations sociales, le dividende net est plus important que celui soumis au PFU de 30 %, du fait de la non-déductibilité des prélèvements sociaux, explique Pierre-Yves Lagarde. Le revers de la médaille ? Les cotisations sociales du dirigeant ne peuvent être imputées que sur des rémunérations imposables au barème et pas sur des dividendes soumis au PFU. On risque de se retrouver avec un problème d'assiette si le dirigeant se verse un montant important de dividendes », conclut cet expert.

 

Gare à la protection sociale !

Reste que cette analyse qui consiste à choisir ce qui coûte le moins cher d'un point de vue fiscal fait l'impasse sur la protection sociale du dirigeant aussi bien en matière de retraite que de prévoyance. « Or, pour les dirigeants qui ont le statut de salarié, cette façon de voir les choses peut se révéler catastrophique. La plupart des garanties de prévoyance obligatoires des cadres sont exprimées en pourcentage du salaire. Par exemple, le contrat souscrit par l'entreprise peut prévoir qu'un capital décès représentant le double ou le triple de la rémunération du chef d'entreprise sera versé à son conjoint survivant. Or, si le chef d'entreprise a choisi de se verser uniquement des dividendes, son conjoint survivant n'aura le droit à rien. Or cette situation est loin d'être une hypothèse d'école », prévient Dominique Prévert, consultant chez Optimaretraite.

 

Optimiser et sécuriser

L'autre composante incontournable de la rémunération du chef d'entreprise, ce sont évidemment ses droits à retraite. Comme n'importe quel assuré, les mandataires sociaux cotisent à des régimes de retraite obligatoires et acquièrent des droits en contrepartie de leurs cotisations.

Quel que soit le régime auprès duquel ils cotisent, il existe une limite au-delà de laquelle ils ne cotisent plus et n'acquièrent plus de droits. Cette limite - ainsi que le taux de cotisation - n'est pas la même dans tous les régimes. Les gérants majoritaires de SARL affiliés à la SSI cotisent pour leurs retraites complémentaires, au taux de 8 % sur la part de leur rémunération supérieure à 37.960 euros, dans la limite d'un plafond fixé à 162.096 euros. Sur la part de leur rémunération supérieure à 40.524 euros, les dirigeants de SAS ou de SA cotisent à hauteur de 17 % jusqu'à 324.192 euros.

A budget de rémunération équivalent, un dirigeant non salarié perçoit donc un revenu net supérieur à celui d'un dirigeant ayant le statut de salarié. En contrepartie, il acquiert moins de droits pour sa retraite obligatoire. Il peut toutefois utiliser le disponible pour cotiser, via des supports individuels de type Madelin ou des supports collectifs mis en place au sein de son entreprise, et augmenter ainsi la part facultative de sa rémunération différée.

« Une alternative à envisager est celle qui consiste, pour un gérant majoritaire de SARL, à créer un holding sous forme de SAS qui va détenir les titres de sa SARL et dans laquelle il ne sera pas rémunéré. Ce schéma lui permet de continuer à bénéficier du statut de non-salarié moins coûteux pour sa rémunération et plus favorable pour se constituer un complément de retraite par capitalisation. La part des résultats non absorbés par la rémunération sera distribuée chaque année au holding. En tant que dirigeant salarié du holding, le chef d'entreprise pourra percevoir des dividendes sans charges sociales », suggère Dominique Prévert.

 

Source : Les Echos / Nathalie Cheysson-Kaplan